les posts d'Iban

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4 mai - l'égo (une histoire de petites briques)

J’imagine qu’un certain nombre d’entre vous m’auront trouvé soudain bien silencieux. Et alors, ça vous dérange ? Franchement, vous me croyez en vacances ? Si j’avais pris quelques jours de repos, je vous jure que j’aurais enfilé mes pantoufles autre part qu’au Qatar (d’autant que dans les pays arabes, on ne met pas de pantoufle mais on marche pieds nus). Il est vrai qu’il y a deux mois, je ricanais assez bêtement en regardant vos bulletins météo mais maintenant, avec plus de 40 degrés, j’ai définitivement perdu toute envie de me moquer. Bon, vous allez me demander évidemment quel est le sujet de ce post. Et vous avez raison. Et bien, j’avais envie de vous consacrer un post à une petite histoire que m’a raconté une relation libyenne, avocat de son état (et comme je squatte son bureau pour l’écrire, ça me paraissait d’autant plus légitime). Je suis souvent étonné de la vie des avocats hors de Belgique. En Belgique, les avocats sont des forçats qui travaillent sans reconnaissance pour pas grand chose et sont tous à la limite de leurs capacités (vous avez compris que j’étais un peu aigri quand je parle de cette profession…je le précise pour ceux qui n’auraient pas eu la finesse de le comprendre). Mon ami libyen n’a pas l’air très occupé. Il le dit d’ailleurs avec une candeur assez rafraîchissante : « moi, je ne veux pas travailler plus de 7 heures par jours »…et encore, le mot travail n’est pas le même pour lui et moi. Son bureau est une grande table presque vide. Je me souviens des papiers qui encombraient mon bureau en ces temps maudits où j’exerçais ce métier. Je ne vois pas sa salle d’attente pleine…Il vit pieds nus. Un homme heureux quoi. Je suis passé par son bureau et comme d’habitude, je me suis assis dans un des fauteuils club et lui s’est assis dans un autre fauteuil face à moi. Comme à chaque fois, il a commencé par la phrase rituellique « j’ai beaucoup à apprendre de vous »…mais ce n’est évidemment qu’une formule. Ensuite, il s’est ouvert et m’a raconté un bout de sa vie. Ce fut un choc pour moi. Je le croyais célibataire. Il m’avait même demandé mon expertise en matière de séduction. Un fou. Je divorce tous les 10 ans. Me demander mon avis en matière de femmes, c’est comme demander un conseil de médecine à Jack l’éventreur ou un conseil en matière d'investissement au Mahatma Gandhi (si certains imagines que je les mets dans le même sac, je m'en excuse). Mais là, j’ai appris qu’il aurait une femme et deux enfants. Il m’a raconté sa jeunesse. Il a fait ses études à Londres. Pour une raison obscure, il a refusé une aide du gouvernement de Kadhafi. J’avoue que ce qui l’a poussé à refuser n’est pas clair. Il m’a dit « c’est mon égo », mais le concept n’est peut être pas le même dans nos deux cultures. Donc, voilà notre ténor du barreau qui ne l’était pas encore, qui veut continuer ses études à Londres…sans un sou (ou plutôt sans une livre). Il me dit : « quand je suis arrivé à Londres avec ma femme et mes enfants, j’avais 5 pounds ». Foolish man. Et dire que Tonton Kadhafi était près à l’arroser de sa générosité. Notre spécialiste du droit qui ne l’était pas encore, décide de se prendre en main. Il consacre une livre et demi à se faire imprimer des cartes de visites… « Nettoyage de vitres ». Et le voilà parti, frappant aux portes pour proposer ses services. Il nettoie les vitres des grandes maisons victoriennes pour une bouchée de pain et il parvient à poursuivre ses études en faisant vivre sa famille. Et me dit-il, ses camarades d’université ne se sont jamais rendus compte qu’il était pauvre. J'imagine tout ces fils de bonne famille au volant de leurs Aston Martin regardant avec un certain dédain ce libyens à l'accent étrange qui s'efforçait de paraître comme eux. Comme il me disait : « c’est l’égo ». Je pense que le mot égo recouvre plutôt ici l’amour propre qui consiste à se prendre en main sans demander l’aide d’autrui. Et dire que cet homme pourrait un jour être ministre dans son pays. De laveur de carreaux à un maroquin. Un parcours qui mérite sans doute bien plus qu’un post. Je promets, si il devient ministre, et s’il a toujours le temps de me voir, de poursuivre nos entretiens pour en faire peut-être un roman.



04/05/2016
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